« L’appli CPF devrait systématiquement proposer une ouverture vers le CEP » (Olivier Las Vergnas)
Le Quotidien de la formation – Que doit-on à la loi Delors ?
Olivier Las Vergnas – La formulation claire des bases de la formation professionnelle continue comme un volet de l’éducation permanente. La filiation avec le programme du Conseil national de la résistance n’est pas loin. La loi affirme les objectifs, crée un financement et met le paritarisme en responsabilité. La loi Delors opérationnalise vraiment la formation professionnelle continue, en visant l’adaptation au travail et la promotion sociale. Etat, collectivités, entreprises, partenaires sociaux, tout le monde est dedans.
Les effets positifs de la loi sont structurels et multiples, mais on en voit bien rétrospectivement les limites : pas de réduction des inégalités, très faible accès des moins qualifiés à la formation.
QDF – Où en est-on aujourd’hui après la réforme de 2018 ?
O. L. V. – Le succès de l’apprentissage ? Ouvrir des centres de formation d’apprentis d’entreprise était une nécessité pour le démultiplier. Mais on est encore loin de la voie professionnelle comme les Suisses la pratiquent, fondée sur le décloisonnement des filières générales, technologiques et professionnelles, par la systématisation de passerelles, comme les hautes écoles.
L’application CPF ? Elle n’est pas encore assez connue du public et surtout déconnectée des problèmes d’une très grande partie de la population. Elle n’est pas adaptée à la logique de parcours et de formation à long terme.
Les abondements au CPF ? Il est évident que l’ingénierie financière des abondements doit être rendue accessible à tous. Bien sûr, CPF et CEP devraient être systématiquement couplés : l’appli CPF devrait systématiquement proposer une ouverture vers le CEP, et celui-ci devrait être vraiment démultiplié et communiqué au plus large public.
La faiblesse majeure de la réforme de 2018 est le sous-dimensionnement du CEP et son cloisonnement : l’orientation est encore trop cloisonnée par statut, trop opaque, décalée, alors que son enjeu principal se joue justement dans les interstices entre les statuts. Il faudrait casser ce cloisonnement d’opérateurs, de financement et permettre de travailler simultanément sur le court terme et le long terme. Mais les partenaires sociaux sont prisonniers de leur rôle au niveau des branches, ils sont occupés, ont peu de moyens, et le citoyen n’est pas leur priorité. Les collectivités locales devraient s’impliquer dans la question de la visibilité de la formation et des possibilités d’évolution.
Finalement, la promotion sociale n’est plus la priorité. L’accès aux formations du supérieur est difficile et trop cher. Il n’y a pas de service public de formations diplômantes LMD « sans reste à charge » à payer pour les personnes qui en ont besoin car pas assez de financement. De plus, l’éducation initiale porte une énorme responsabilité dans le fait de ne pas enseigner qu’on peut se former toute sa vie.
Aujourd’hui, le système n’est pas en mesure de compenser le taux considérable de décrocheurs et d’oubliés de la promotion sociale. Aujourd’hui, l’obsolescence des compétences et des savoirs est encore plus rapide, le besoin d’éducation permanente est encore plus fort pour que les citoyens puissent se positionner dans les évolutions des univers professionnels. Mais on pare au plus pressé, avec un niveau contraint de financement.
QDF – Qu’est-il important de faire désormais ?
O. L. V. – Eviter les gadgets, insister sur le fait que le CPF ne représente pas toutes les voies de formation possibles, développer réellement un CEP décloisonné, capable à la fois d’aider à traiter simultanément les problèmes des personnes à court terme et à long terme, dans l’esprit des « Cités des métiers » de certaines Maisons de l’emploi et des Mife (Maisons de l’information sur la formation et l’emploi), et travailler sur l’orientation et la clarification des formations et des métiers non plus par statut mais dans la logique des trajectoires. A ce propos, il serait bon que nos gouvernants et décideurs reprennent les fondements de la loi de 2009 qui décloisonnait beaucoup plus l’orientation tout au long de la vie.
Il faut également faire passer les messages auprès des citoyens qu’il vaut mieux se former un petit peu tout le temps que d’ambitionner un très gros effort très ponctuel, et que se former n’est pas souffrir, se former c’est d’abord avoir de la satisfaction et du plaisir à sentir qu’on progresse.
Autre piste d’action : valoriser le co-investissement salarié/employeur en faisant converger tous les abondements possibles au CPF, et en ouvrant un nouveau dialogue social autour. Mais ne pas oublier de rappeler que le salarié qui se forme à la demande de son employeur co-investit déjà en donnant énergie, temps et mobilisation de son cerveau.